Venise, Hahn, Proust & Fortuny : l’exposition

Published by Nicolas Ragonneau on

  • Affiche expo Venezia Hahn Proust Fortuny
  • Marcel Proust à Venise
  • Portrait de Marie Nordlinger
  • Dessin du grand canal par John Ruskin
  • Affiche pour le recueil de chansons Venezia de Reynaldo Hahn
  • Gravure de Mariano Fortuny

Grand spécialiste de Frédéric Chopin et commissaire des expositions Reynaldo Hahn, le musicographe Jean-Yves Patte organise l’exposition « Venezia — Reynaldo Hahn, Marcel Proust et Mariano Fortuny » au Palazetto Bru Zane de Venise, du 21 mai au 31 octobre 2019.

Entretien avec Jean-Yves Patte

Quel est l’objectif de cette exposition qui, je crois, est la première à documenter les relations entre Venise et ces trois artistes ?
Oui, l’exposition intéresse en effet les liens qui les unissent à la cité, mais aussi les liens qu’ils entretenaient entre eux.
Il s’agit d’une commande du Palazzetto Bru-Zane, qui va dédier l’année 2020 au compositeur Reynaldo Hahn. Cette exposition en est une sorte de prélude. D’autant que Mme Bru a un goût pour les arts et la photographie ! Par ailleurs ce projet s’inscrit dans le cadre d’une exposition au Palazzo Fortuny et surtout dans le cadre du OFF de la Biennale.

Qu’est-ce qui est prévu au Palazzo Fortuny et pour la Biennale en OFF ?
Le Palazzo Fortuny, aussi connu sous le nom de  Palazzo Pesaro degli Orfei, présente, du 11 mai au 24 novembre, une exposition consacrée à l’histoire de la Famille Fortuny. Cette « Histoire de Famille » honore la mémoire de Mariano Fortuny (70e anniversaire de sa mort). Il y a donc un lien naturel entre celle du Palazzetto Bru-Zane et celle du Palais Fortuny !
Quant à la Biennale, manifestation culturelle majeure, même si elle est dédiée à l’art contemporain, elle accueille des satellites culturels en lien avec la création contemporaine : le Off… Et l’histoire de Reynaldo Hahn, Marcel Proust, et de Mariano Fortuny ne peut manquer d’y être associée.

Pour en revenir à l’exposition, quels sont justement les liens entre Proust, Hahn et Fortuny ?
La sœur de Reynaldo Hahn, Maria, a épousé en juillet 1899 le peintre Raymundo de Madrazo qui est l’oncle de Mariano. Des liens de sympathie se sont vite créés. C’est ainsi que Reynaldo Hahn et sa cousine Marie ont séjourné chez eux à Venise. Par ailleurs, Mariano faisait parvenir un grand nombre d’objets décoratifs et de tissus à son oncle et à toute la famille… Reynaldo Hahn lui même possédait de nombreux textiles décoratifs. Mais les souvenirs les plus démonstratifs sont sans doute les photos du pavillon Madrazo à Versailles. Elles montrent un intérieur très « vénitien » et très décalé !
Et Maria recevait, sans doute par le biais d’Henriette Negrin, épouse de Fortuny, des toilettes. C’est d’ailleurs grâce à cette élégante garde-robe que Marcel Proust, grand ami de Maria, a pu « vêtir » Albertine. Un des manteaux Fortuny de Maria a même été conservé dans la famille. Il a été présenté l’an dernier à Vichy pendant l’exposition « Reynaldo Hahn, La musique retrouvée ». C’est un peu d’Albertine retrouvée !

Tous ces personnages sont reliés par un fil ténu mais solide…
Pas si ténu que ça ! On connait les liens qui unissent Reynaldo Hahn et Marcel Proust : liens amoureux un temps qui ont donné lieu à une très longue et riche amitié. Et Reynaldo Hahn avait aussi des attaches  — amicales et familiales — avec la famille Fortuny. C’est grâce à lui que Proust a vraisemblablement été reçu par Cecilia de Madrazo, la mère de Mariano, et admiré sa collection de tissus anciens, et vu sans doute aussi les ateliers du créateur. Reynaldo Hahn s’affirme donc comme un personnage central dans ce voyage à Venise (par ailleurs longtemps rêvé par Proust…). C’est lui aussi qui a présenté Marie Nordlinger — une autre parente, sa cousine anglaise — à Marcel Proust en 1896. Une grande connivence intellectuelle les unit dans une communion presque mystique autour de l’oeuvre de John Ruskin… là, il convient de faire aussi entrer Mme Proust mère — qui est du premier voyage d’avril-mai — et qui a été d’une grande aide dans la compréhension des écrits de Ruskin : elle a commencé à le traduire « mot à mot » … mais c’est une autre histoire.
On pourrait aussi dire d’ailleurs de Ruskin qu’il est un de ces fils sous-jacent à ce voyage : Les Pierres de Venise (dans une version française et abrégée) sont leur guide touristique !

Tout cela est présent dans l’exposition je suppose, mais avec quel type de documents ?
Principalement des photographies, dont 95% inédites… La boîte de « vues lumineuses de Venise », avec des tirages modernes de photos de famille. Des ouvrages, quelques partitions dont l’édition originale du cycle Venezia, et une petite peinture dans le goût vénitien de Madrazo, des tentures et même une gravure de Mariano Fortuny.

Et pour Marcel Proust ?
« LA » fameuse photo à Venise… et la photo de Man Ray. Sinon, tout un passage consacré aux Pierres de Venise avec l’édition de luxe  et le « digest » traduit par Mathilde P. Crémieux avec les photos des frères Alinari. Et des textiles Fortuny, ceux de Hahn, qu’il a sans doute vus !!! et des photos inconnues de Marie Nordlinger.

Comment qualifier la relation de Reynaldo Hahn et de  Proust sur le plan artistique ?
Sans Hahn, pas de Proust ! Ou, pour être plus précis, pas le même… Hahn a permis à Proust de rentrer dans le monde, auquel il avait, lui, un accès naturel. Ses parents par exemple étaient des amis de la princesse Mathilde et fréquentaient “le monde”.
Par ailleurs la position d’artiste de R. Hahn a ouvert des horizons pour Proust : conversations, correspondances … même s’ils ne partageaient pas pas toujours les mêmes avis (sauf en matière de café-concert) ! On peut dire de Reynaldo qu’il a été un « périscope » pour Proust.

Une dernière question, ou plutôt une suggestion. Il y a un colloque proustien à l’université de Padoue mi-juillet, à quelque 45 minutes de Venise. Que diriez-vous aux participants pour leur donner envie de visiter l’exposition ?
« Venez ! Vous y verrez des choses jamais montrées qui ouvrent des horizons plus vastes sur un des personnages clefs (Reynaldo Hahn) pour entrer dans le monde proustien… et puis vous découvrirez Venise “à la manière de…” au travers de Ruskin et des vues lumineuses ! » (avec musique et roulements de tambours !).

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